Chômage partiel et retraite du secteur privé
Impact des périodes de chômage partiel sur les droits à retraite des salariés du secteur privé
L’année 2020 devait être logiquement le prolongement de l’année 2019 en matière de retraite : la réforme des retraites en un système « universel » devait succéder à la fusion de l’AGIRC et de l’ARRCO et à la Loi PACTE de l’an passé. Cependant, les circonstances de la crise sanitaire « COVID 19 » ont conduit le gouvernement à décaler cette réforme promise jusqu’à nouvel ordre.
Cette crise sanitaire, sans précédent au cours des dernières décennies, a eu raison de l’activité – tout du moins partielle – de bon nombre d’entreprises. Ces dernières ont donc eu recours massivement au dispositif de chômage partiel pour une partie de leurs salariés depuis mars 2020 : environ 25% des salariés sont en chômage partiel (Source : Les Echos).
Nous vous proposons une synthèse des dispositions prévues concernant ces périodes de chômage partiel ainsi qu’une estimation des impacts probables sur les droits à retraite des salariés du secteur privé dans deux cas types. Enfin, nous évoquerons quelques pistes de réflexion quant aux possibilités offertes aux salariés ou aux entreprises pour atténuer cette perte.
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- Dispositions réglementaires existantes
- Estimation de la perte
- Pistes de réflexion pour atténuer la perte
I. Dispositions réglementaires existantes
Tout d’abord, il convient de préciser que ce chômage partiel, même s’il est financièrement compensé en totalité, a un impact sur les droits à retraite. En effet, aucune cotisation retraite n’est payée sur les indemnités chômage et sur le complément éventuellement payé par l’employeur. Or les droits des régimes de retraite du secteur privé, tant auprès de la CNAV que de l’AGIRC-ARRCO, sont étroitement liés aux cotisations versées.
Des dispositions existent dans ces régimes pour atténuer cette perte, mais elle reste néanmoins significative et extrêmement corrélée au profil de carrière des salariés :
- A la CNAV, les périodes de chômage partiel sont assimilées à des périodes de travail. Mais l’absence de rémunération soumise à cotisation du fait du chômage partiel conduira à abaisser le niveau du salaire annuel moyen (SAM : moyenne des 25 meilleurs salaires soumis à cotisation et revalorisés) servant au calcul de la pension,
- A l’AGIRC-ARRCO, des points gratuits sont attribués, après 60 heures de chômage[1]. La perte de droits portera donc sur ces 60 heures de chômage non prises en compte[2].
NB : pour valider un trimestre à la CNAV, il convient d’avoir cotisé sur un salaire équivalent à 150 SMIC horaires (soit 150 x 10,15€=1 522,50 € pour un trimestre ; 6 090 € pour 4 trimestres par année civile). Ainsi, pour la très grande majorité des salariés, une période de chômage partiel n’aura pas d’impact sur le nombre de trimestres validé l’année concernée et la perte de pension est uniquement imputable à la baisse du SAM.
II. Estimation de la perte
II.1 Salaires historiques sous le PASS [3]
Impact sur la pension CNAV
Dans cet exemple, nous considérons un salarié dont la rémunération de début de carrière est et restera toujours inférieure au PASS. Le profil de carrière retenu est une évolution annuelle des salaires de 1,5% hors inflation[4]. En simulant l’année 2020 comme étant une des meilleures années de la carrière du salarié et en considérant différents scenarii de la durée de chômage partiel (1 mois, 2 mois, 3 mois, 6 mois et 9 mois), les écarts constatés avec un SAM sans chômage partiel sont les suivants :
Le graphique ci-dessus représente les écarts entre le SAM calculé hors chômage partiel et avec chômage partiel dans le cas où l’évènement a lieu l’année k (k étant une des 25 meilleures années pour le calcul du SAM ; k=1 étant la moins bonne année, k=25 étant la meilleure).
Les chiffrages obtenus pour les scenarii de 6 ou 9 mois de chômage partiel sont identiques dans la mesure où la perte de salaire est d’au moins 50% dans les deux scenarii. Quelle que soit l’année durant laquelle le chômage partiel intervient, elle ne fait plus partie des 25 meilleures années, même en tenant compte de la revalorisation de 1,50%. Une année antérieure de l’historique la remplace pour le calcul du SAM. L’année de chômage partiel n’étant pas prise en compte dans le calcul du SAM, il est le même dans les deux cas.
Ainsi, l’impact d’une durée de chômage partiel entre 6 et 9 mois est évalué à environ -1,50% si cet évènement intervient lors de la meilleure année de salaire et 0,07% pour le 25ème meilleur salaire.
De plus, et comme constaté sur le graphique, trois décrochages apparaissent pour les scenarii de chômage partiel entre 1 et 3 mois, atténuant ainsi la perte sur le SAM calculé. En effet, tant que le salaire de l’année de chômage partiel reste inférieur à celui de la 26ème meilleure année de l’historique, il n’intervient pas dans le calcul du SAM. En revanche, avec quelques années de revalorisation, ce dernier, même décoté, devient supérieur à la 26ème meilleure année de l’historique et l’impact sur le SAM est moindre.
Sur la base d’une liquidation au taux plein, hors surcote et majoration familiales, les écarts probables en euros sur la rente annuelle CNAV sont les suivants (sur la base d’un salaire de 20 000€ la 25ème meilleure année):
Année au cours de laquelle a lieu le chômage partiel pour le calcul du SAM |
||||||
Durée chômage partiel | 1 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 |
1 mois | -5,91 € | -30,46 € | -38,11 € | -41,06 € | -44,23 € | -47,65 € |
2 mois | -5,91 € | -30,46 € | -63,27 € | -82,12 € | -88,46 € | -95,30 € |
3 mois | -5,91 € | -30,46 € | -63,27 € | -98,61 € | -132,70 € | -142,95 € |
6 mois | -5,91 € | -30,46 € | -63,27 € | -98,61 € | -136,69 € | -177,71 € |
9 mois | -5,91 € | -30,46 € | -63,27 € | -98,61 € | -136,69 € | -177,71 € |
Lorsque la baisse de rémunération est trop importante et ne fait plus partie des 25 meilleures années, le SAM ne varie plus, même si la durée de chômage partiel augmente encore (pour autant que 4 trimestres soient validés pendant les années où surviennent des périodes de chômage partiel).
Impact sur la pension AGIRC-ARRCO
Comme rappelé en section 1, la perte de droit sur la pension AGIRC-ARRCO est composée des 60 heures de chômage partiel non générateur de droit. Ainsi, la perte minimale de pension annuelle, sur la base d’un salaire annuel de 20 000€, d’un taux de cotisation normal et d’une liquidation au taux plein, hors surcote et majorations familiales éventuelles, est la suivante :
Cotisations AGIRC ARRCO correspondant à 60H de travail | Points AGIRC- ARRCO correspondant | Impact pension annuelle | |
Valorisation de 60h de chômage partiel | 659,33 € | 37,90 | -48,18 € |
Contrairement à la pension CNAV, il est ici difficile de ramener cette perte à un pourcentage de la rente annuelle AGIRC-ARRCO tant les droits sont corrélés aux cotisations historiques versées.
Attention, cet exemple ne saurait refléter réellement l’impact de ces périodes de chômage partiel dans la mesure où nous avons fait une hypothèse forte concernant la croissance annuelle des revenus à 1,50%. Or, pour ces catégories de salariés, il est généralement plutôt observé un ralentissement de la progression des salaires voire une baisse en fin de carrière (du fait de la baisse du temps de travail notamment). Ainsi, pour les salariés ayant eu des rémunérations « en cloche » – hausse en début de carrière puis baisse en fin de carrière- l’impact sera moindre que ceux présentés dans ces exemples.
II.2 Salaires historiques au-dessus du PASS
Impact sur la pension CNAV
Dans cet exemple, nous considérons un salarié dont la rémunération a toujours été supérieure au PASS. L’année du chômage partiel, le PASS servant à définir le salaire de référence pour le SAM CNAV est décoté de la période de chômage partiel. Ainsi, un salarié avec une période de chômage partiel d’un mois dans l’année aura un salaire de référence CNAV égal au PASS décoté de 1/12 même si l’ensemble de ses rémunérations sur l’année est supérieur au PASS.
A titre d’illustration, prenons l’exemple d’un salarié ayant toujours cotisé au-dessus du PASS. Dans ce cas précis hors chômage partiel, les salaires des 25 meilleures années pour le calcul du SAM correspondent au PASS de chaque année et revalorisés suivant les coefficients CNAV applicables au 01/01/2020.
Les mêmes effets sont constatés que dans le cas précédent avec tout de même quelques différences notables :
- La pente de l’écart mesuré n’est plus constante et varie dans le temps du fait des diverses revalorisations annuelles prises en compte dans les coefficients CNAV ;
- Les scenarii de chômage partiel de plus de 3 mois donnent les mêmes résultats car la rémunération de l’année du chômage partiel sort des 25 meilleures années et est remplacée par la rémunération de la 26ème meilleure année du scenario hors chômage partiel (et qui correspond à un même PASS revalorisé)
- Les scenarii de chômage partiel de 1 et 2 mois de chômage partiel ont un décrochage comme vu précédemment mais ce dernier intervient plus tardivement. Ceci est dû au fait que l’évolution annuelle moyenne des PASS revalorisés est d’environ 0,95% sur les 25 dernières années. Ainsi, il faut plus d’années de revalorisations pour que la rémunération de l’année du chômage partiel soit supérieure à la 26ème meilleure année du scenario hors chômage partiel.
- L’impact relatif est plus marginal quel que soit l’horizon auquel interviendrait le chômage partiel par rapport à une carrière où les salaires historiques resteraient en dessous du PASS. Ceci est encore du fait d’une moindre revalorisation des plafonds annuels PASS par rapport au 1,50% considéré précédemment.
Sur la base d’une liquidation au taux plein, hors surcote et majoration familiales, les écarts en euros sur la rente annuelle seraient les suivants :
Année à laquelle a lieu le chômage partiel pour le calcul du SAM | ||||||
Durée chômage partiel | 1 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 |
1 mois | -5,79 € | -38,16 € | -57,79 € | -63,41 € | -65,56 € | -68,56 € |
2 mois | -5,79 € | -38,16 € | -57,79 € | -111,00 € | -131,11 € | -137,12 € |
3 mois | -5,79 € | -38,16 € | -57,79 € | -111,00 € | -136,72 € | -172,77 € |
6 mois | -5,79 € | -38,16 € | -57,79 € | -111,00 € | -136,72 € | -172,77 € |
9 mois | -5,79 € | -38,16 € | -57,79 € | -111,00 € | -136,72 € | -172,77 € |
Impact sur la pension AGIRC-ARRCO
La perte de pension annuelle sur la base d’un salaire annuel au PASS en 2020 (41 136 €), toujours sur la base d’une liquidation au taux plein, hors surcote et majorations familiales éventuelles, est la suivante :
Cotisations AGIRC ARRCO correspondant à 60H de travail | Points AGIRC- ARRCO correspondant | Impact pension annuelle | |
Valorisation de 60h de chômage partiel | 1 356,10 € | 77,94 | -99,10 € |
Pour la rente AGIRC-ARRCO, l’impact sur la rente est ici plus important dans la mesure où les droits sont directement proportionnels aux cotisations versées, ici plus importantes.
III. Pistes de réflexion pour atténuer la perte
En synthèse, la perte annuelle estimée sur l’ensemble des droits à retraite de base et complémentaire du secteur privé sera plus importante pour les salariés proches de la retraite que pour ceux, plus jeunes, qui pourront avoir de meilleures rémunérations à l’avenir pour compenser cette année de chômage partiel.
Cette perte peut donc être significative :
- Pour les salariés ayant eu les rémunérations les plus faibles sur l’ensemble de leur carrière ;
- Si d’autres crises sanitaires se produisent à l’avenir avec le même phénomène du recours généralisé au chômage partiel sans modification de la réglementation actuelle.
Néanmoins, cette perte de rente au titre des régimes obligatoires de droit privé peut être compensée, totalement ou en partie, grâce aux actions suivantes :
- Versement d’une prime exceptionnelle qui sera soumise à cotisation : les droits à retraite seront augmentés à due concurrence des cotisations versées (droits AGIRC-ARRCO seulement dans la plupart des cas)
- Versement exceptionnel sur les supports d’épargne retraite d’entreprise (ou individuel) PER pour augmenter la rente totale qui sera perçue par le salarié
La perte à compenser étant propre à chacun car dépendant totalement de la carrière passée et à venir, il convient de bien l’estimer afin de trouver une réponse compensatrice adéquate.
Nous nous tenons à votre disposition pour en discuter et vous assister dans ce type de travaux.
[1] : voir article 67 de l’accord AGIRC-ARRCO du 17/11/2017 et la note de l’AGIRC-ARRRCO publié le 06/04/2020 à ce sujet ici. A notre sens, si l’employeur cotise à des taux dérogatoires, alors les éventuelles acquisitions de points gratuits pour chômage partiel se feraient sur la base de ces taux dérogatoires et non pas sur la base des taux contractuels (6% T1/ 17% T2 en 2020)
[2] Jusqu’en 2018, le chômage partiel ne donnait pas droit à l’acquisition de points de retraite au-delà de la tranche B (4 PASS). Avec le nouveau régime unifié AGIRC-ARRCO instauré en 2019, le chômage partiel indemnisé au-delà de 60H permet d’acquérir des points sur la rémunération de la tranche 1 et 2 (entre 0 et 1 PASS et entre 1 et 8 PASS respectivement)
[3] PASS : Plafond Annuel de la Sécurité Sociale
[4] Nous n’avons pas retraité les salaires historiques des coefficients de revalorisation CNAV prévus dans la mesure où ces derniers dépendent de l’année considérée. Ainsi, il convient de raisonner en évolution des salaires hors inflation.